Incubation d’œufs de truites en bassin d’aquaponie

Les truites arc en ciel sont capables d’atteindre la maturité sexuelle dans les bassins aquaponiques. Dès lors il est tentant de tester la reproduction dans une auge d’incubation installée dans les bassins. Ce que j’explore avec la précieuse collaboration de Valentin Avandetto et de Pierre Garsi. Exceptionnellement, je vais publier avant la fin de cet essai pour partager l’aventure. J’actualiserai l’article au fur et à mesure des résultats obtenus.

Dernière mise à jour le 09/12/2020 (Apports Catherine Labbe INRA Rennes)

Des truites mûres sexuellement

Des truitelles de 80 grammes pièces ont été introduites dans les bassins aquaponiques en janvier 2019. Les truites achetées sont des truites diploïdes issues de vrais mâles. On y trouve donc 50% de femelles et 50% de mâles. Un an plus tard, ces truites pèsent en moyenne 1000 grammes (1434 g pour la plus lourde). Tous les mâles sont matures avec une production abondante de laitance dès fin décembre 2019. Quelques femelles, également matures ce début d’année 2020, fournissent des œufs par stripping. Chez la truite arc en ciel, la période de maturité dépend de la souche utilisée, variable entre novembre et mars.

La maturité des femelles dure environ 8 jours. Par conséquent, une fécondation avant ou après cette période se traduit par un pourcentage d’œufs non fécondés très important. Dans le contexte du test, les femelles sont capturées pour abattage. Les chances de tomber dans la période de réceptivité maximale sont minces. Il faudra donc tolérer une perte importante liée à cette contrainte.

Pour exemple, une fécondation démarre le 01/02/2020 à partir d’une petite femelle de 620 g. Oeufs probablement avancés avec début de détérioration des reins chez la femelle. Fécondation avec un mâle de 1000 g. Résultat : 98.5 % de perte (œufs blancs) le lendemain.*

Truites arc en ciel mâle et femelle
Truites arc en ciel mâle et femelle

La fécondation « in vitro »

Les œufs des femelles sont prélevés par stripping. On en récolte environ 1500 à 3000 pour une truite d’un kilogramme. Ils sont récoltés dans une passoire propre. Puis on arrose ces œufs avec la laitance de plusieurs mâles pour se préserver d’une éventuelle stérilité d’un mâle. Ces gamètes sont également obtenus par stripping. On mélange doucement les œufs et le sperme pendant une minute, puis on rajoute de l’eau. La fécondation est terminée au bout de 5 minutes. Voir schéma du protocole de reproduction de la truite mis en ligne par le pôle Aqua Valley.

Le protocole cité ci-dessus n’a pas été parfaitement respecté lors des tests, par méconnaissance. La ponte n’a pas été réalisée sur un tamis pour enlever le liquide coelomique et la truite n’a pas été essuyée préalablement. La ponte en condition strictement sèche n’a donc pas été garantie. L’eau a été rajoutée « à la louche » et bien plus que 1 volume d’eau pour deux volumes d’œufs. Enfin après ajout de l’eau , le temps d’attente a été inférieur aux 5 minutes préconisées.

Pour plus d’information, un bon reportage sur la reproduction de la truite fario et une seconde vidéo qui m’ a été transmise par Rephael Boccara, centrée sur la ponte, la fécondation et la mise en incubateur.

L’installation en auge d’incubation

Après fécondation, les oeufs prennent immédiatement place dans une auge d’incubation installée sous l’arrivée d’eau dans les bassins à truites. Cette eau provient directement du bac de culture. Elle est filtrée avec un filtre à sable grossier pour éliminer les débris de racines et capter une grande partie de la boue qui s’échappe du bac. Les œufs se répartissent en une seule couche à l’aide d’une plume ou d’un pinceau très souple. Ils vont rester dans ce bac jusqu’à la sortie des embryons, dans le noir, pendant environ 4 à 8 semaines selon la température de l’eau.

Mise en place des œufs fécondés dans le bac de l'auge d'incubation. Environ 800 oeufs.
Mise en place des œufs fécondés dans le bac de l’auge d’incubation. Environ 800 oeufs.

Le nettoyage des œufs pendant l’incubation

Chaque jour, une rapide inspection permet d’éliminer les œufs clairs ou morts que l’on repère grâce à leur couleur blanche. Les œufs défectueux sont prélevés à l’aide d’une simple paille en plastique, fermée à un bout. On appuie sur la paille, on coiffe l’œuf à éliminer et on relâche la pression sur la paille. La dépression ainsi créée aspire l’œuf qui peut être retiré sans perturber ses voisins. Une autre technique consiste à utiliser une aiguille au bout d’un manche quelconque et de piquer les œufs blancs pour les extraire. Cette méthode permet de ne pas toucher les autres œufs, ce qui est difficile avec une paille. La pipette coiffée d’une poire en caoutchouc demande du doigté pour aspirer les œufs un par un. Quoi qu’il en soit, c’est un travail fastidieux car la perte peut varier de quelques % … à presque 100%.

Oeufs blancs
Oeufs blancs
Saprolegnia sur oeufs blancs
Saprolegnia sur oeufs blancs

De : Catherine Labbe, INRA Rennes, Fish Physiology and Genomics
Envoyé : mercredi 9 décembre 2020 11:17
Objet : Incubation des oeufs de truite et oeufs blancs : petite précision

Je suis tombée par hasard sur l’un de vos articles, et je voudrais apporter une précision bien tardive par rapport à votre article sur les fécondations et incubations. Je suis chercheuse et pratique beaucoup de fécondations pour tester la qualité du sperme que je cryoconserve.

Il convient de savoir que les œufs blancs ne sont pas des œufs non fécondés. Ce sont des œufs dont les membranes sont altérées, ce qui permet à l’eau de rentrer et de coaguler le vitellus (réserves de l’œuf), donnant cette couleur blanche. Si le blanchiment est précoce, les embryons n’auront pas le temps de se développer, même si l’œuf est fécondé. Si le blanchiment est tardif, on peut voir que ces œufs blancs contiennent bien un embryon dont le développement aura été arrêté par le blanchiment.  Pour voir cela, il faut éclaircir les œufs blancs avec de l’acide acétique (dans un mélange type Stockard). Ce fixateur rend le vitellus transparent, et l’embryon redevient visible, même avant le stade œillé (mince ligne blanche à la surface). Cela permet de révéler la présence ou pas d’un embryon en développement.  Il est donc inexact de dire que les œufs blancs sont le fait d’œufs non fécondés, ils sont le fait d’œufs altérés, et ce indépendamment de leur statut fécondé ou non fécondé. Mais j’ai fait la même erreur à mes débuts, avant de les avoir regardés après fixation. Et vos hypothèses sur les raisons de ce blanchissement (chocs physiques, qualité des pontes) sont très pertinentes.

Nettoyage des oeufs de truite avortés

La durée d’incubation

L’incubation des œufs de truite arc en ciel nécessite une somme de température d’environ 330 °C x jour en base 0°. Ce qui prend 33 jours pour une eau à 10° et 41 jours pour une eau à 8°. Pendant cette période, les œufs subissent des transformations observables à l’œil nu. Notamment l’apparition des deux points noirs correspondant aux yeux des futurs alevins. Ceci commence à être visible vers le milieu de la période d’incubation soit vers le 16ème jour pour une eau à 10°. Cette évolution est très bien illustrée par une table de l’INRA : Claudiane Valotaire , Frédéric Borel, Table du développement embryonnaire de la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) à 10°C en photos , 2017, Le Cahier des Techniques de l’INRA, 2017.

Le premier test démarre le 31/12/2019 avec 800 œufs, issus d’une femelle de 620 g et fécondés par un mâle de 1140 g. Constat d’une absence de fécondation. Abandon du test au 15/01/2020.

T1 : J10 - Oeuf non fécondé
T1 : J10 – Oeuf non fécondé
T1 : J10 - Prolifération d'oeufs blancs
T1 : J10 – Prolifération d’oeufs blancs

Le second test démarre au 17/01/2020 (J0) avec deux barquettes de 1280 œufs chacune, issus d’une femelle de 1010 g et fécondés par un mâle de 1356 g. Nœud terminal visible à J4. Début stade oeillé à J17. Premières naissances à J26. Eau à 11°

Evolution des pertes en nombre d’oeufs

Reste 243 œufs œillés au 10/02/2020 (J23) de couleur sombre. Nettoyage de l’auge pour se préparer à l’éclosion. La perte entre ponte initiale et stade œillé viable est de 90%. Les causes sont multiples, hiérarchisables mais non chiffrables pour ce test:
Agitation des œufs lors du nettoyage à la paille, du fait d’une répartition sur deux couches (trop d’œufs par panier)
– Période de nettoyage assez longue, avec exposition des œufs à la lumière du jour (mais pas au soleil direct)
– La femelle est mature pendant environ 8 jours. Toute ponte avant ou après cet optimum conduit à davantage d’échec de fécondation.
Le protocole de fécondation artificielle n’a pas été respecté à la lettre.
– Développement d’un peu de saprolégnia sur œufs morts. Quelques dégâts collatéraux sur œufs contigus.
– Nourriture des truites avec un aliment sans astaxanthine.
– Utilisation de reproducteurs jeunes, moins fertiles.
– Pas de désinfection des œufs, ni de lampe UV en entrée d’auge.
– Elevage dans l’eau du système aquaponique légèrement chargée en micro particules issues du bac à légumes.
– Une température élevée à 11° avec une pointe à 12.5°C

T2 :J2
T2 : J5 – Noeud terminal visible
T2 : J12 – 25% épilobie
T2 : J16 – sillon rouge visible en surface
T2:J17 – Début du stade œillé
T2 : J17 – Vue d’un panier
T2 : J20 – Stade oeillé pour 50% des œufs
T2 : J20 – Vue d’ensemble (900 œufs)
T2 : J22
T2 : J24 : 243 œufs œillés

La naissance des alevins J26 à J29

Les embryons naissent avec une réserve de nourriture, le sac vitellin. Ce qui va leur permettre de survivre pendant 15 jours à un mois – 150° jours – avant de commencer à se mouvoir pour se nourrir. Débute alors la délicate phase de la nutrition des jeunes alevins avec un aliment à plus de 60% de protéines (farines de poisson). Les peaux vides sont siphonnées dans un seau avec un tuyau de 6 mm de diamètre intérieur.

– J30 ( 16/02/2020) : fin des naissances. Il reste 170 larves actives soit 30% de perte / stade œillé.

A suivre : le passage au stade alevins et le démarrage de l’alimentation.

T2 : J26 Premières naissances
T2 : J26 Premières naissances
T2 : J26 Premières naissances
T2 : J26 Premières naissances
T2 : J28 – Video naissance des larves de truites AEC avec sac vitellin

9 Comments

  1. Pierre Asselin

    Bonjour
    Le 17 mai 2022 dans les eaux froide du Québec, j’ai pêcher une truite d’environ 700 gr qui avait des oeufs blanc. Est-ce normal?
    Je croyais que la fraye des truites étais à l’automne.
    Est- ce que les truites d’élevages dont on ensemence les lacs sont stériles.

    • jcgoudeau

      Au Québec, le mot truite n’a pas forcement le même sens qu’en France. De quel poisson parlez-vous? (truite arc en ciel, truite (salmo truta), Omble des fontaines,…). Je suppose qu’au Québec la truite d’élevage est de la truite AEC? Si oui elle peut être stérile (triploïde) ou pas (diploîde); 100 % femelles ou mix mâles-femelles. Je ne sais pas quelle est la contrainte réglementaire chez-vous. Les œufs blancs ressemblent à une ponte qui n’a pas pu se réaliser normalement. Les ombles pondent facilement tout seul mais les truites arc en ciel en élevage doivent être strippées pour éviter qu’elles ne meurent.

  2. Pierre COSTE

    Bonjour,
    Je viens d’échouer, pour la deuxième fois dans l ‘ éclosion d’oeufs de truite, suit à de grossières erreurs.
    C’est formidable ce que vous avez fait. Moi, je démarre avec des oeufs oeillés en provenance d’ Aqualande, et j aimerais bien réussir .
    Questions: où avez vous trouvé la grille qui supporte les oeufs ? Comment faites vous , pour que l ‘au arrive par en dessous? je comprends l ‘entrée à partir du filtre, mais ensuite, je me demande si elle ne passe pas aussi par les cotés de l’auge.

    • jcgoudeau

      Bonjour Pierre,
      Concernant l’auge d’incubation, le modèle final est un peu différent de celui montré sur la vidéo. Il a été ajusté au fil des difficultés rencontrées.
      – Le fond du bac amovible est fabriqué avec un bout de grille à reines utilisé dans les ruches. Il est assez rigide et les trous sont larges laissant facilement passer l’eau. Le modèle initial de bac amovible accueillait directement les oeufs. Mais cela pose problème au moment de l’éclosion pour éviter les évasions car il faut rajouter un grillage fin à la sortie avec les risques de colmatage par l’aliment qui vont avec.
      – Les paniers d’incubation qui reçoivent les œufs sont fabriqués avec un bout de plastique semi rigide utilisé comme moustiquaire de fenêtre. Les trous sont petits et retiennent les œufs et les larves, tout en laissant passer l’eau et plus tard les excédents de nourriture. Il convient de construire des paniers d’incubation dont les bords verticaux dépassent la surface de l’eau. Ainsi, les larves puis les jeunes alevins ne peuvent pas s’enfuir. Ces paniers permettent donc de suivre l’incubation de la fécondation jusqu’au stade alevins d’un gramme, soit environ trois mois d’élevage.
      – La circulation de l’eau du bas vers le haut est forcée grâce à une cloison qui oblige l’eau à s’écouler d’abord par le bas pour ressortir par le haut. Voir l’article https://www.truitesaquaponiques.com/2019/12/01/auge-incubation-aquaponie/ (les photos seront actualisées cet été lorsque le système sera démonté)
      – La sortie du bac amovible épouse parfaitement la forme de la sortie du bac principal. Un bout de barrette à relier les feuilles d’un document assure la liaison étanche entre ces deux bacs. Ainsi l’eau, pour sortir du bac principal, n’a pas d’autre choix que de traverser le bac amovible par le fond.

      Il va de soi que les paramètres de l’eau doivent être excellents : température comprise entre 8 et 11°, saturation en oxygène, 0 ammoniaque, 0 nitrites, débit modéré (le débit du test est de 13 litres à la minute), eau claire, noir complet pendant l’incubation.

      • Pierre COSTE

        Merci Jean Claude de tes explications. Cette fois, j ai bien compris our l ‘étanchéité. Brico dépot a de la grille moustiquaire, Dés que possible, je vais en acheter une faire un essai
        Par contre, j ai un souci avec ammoniaque, nitrites:
        Je ne suis pas chez moi, mais demain je vais vérifier sur mon circuit principal ( 600 litres d’eau, gros biofiltre en bille d’argile, pompe air 2000l): mon dernier test, j ‘ai 0 avec les bandelettes, >0,1 avec test en goutte pour les nitrites, un peu de nitrates
        l ‘eau avant de passer sur le biofiltre traverse un filtre sous pression, et elle est claire. Elle perd de la clarté dans le bac à poisson quand je donne aux truites, ellles remontent un peu de dépot au fond
        j ‘ ai eu peur de mettre mes oeufs sur ce circuit et ai monté un petit circuit indépendant, mais ce n ‘est pas satisfaisant, car peu de volume d’eau,< 70 l), j'ai un refroidisseur de liquide trop puissant pour ce volume ( 800 w froid) , des changements trop rapide de température et une pompe a eau trop puissante pour éviter le courts cycles, et je n ai pas mis de biofiltre, et j avais laissé les oeufs à la lumière indirecte du jour, dans mon garage
        A ton avis, puis je mettre mon auge dans le circuit poissons ?
        Merci

        • jcgoudeau

          Pierre,
          Les professionnels utilisent des tiroirs très peu profonds, alimentés le plus souvent par une eau de source qui coule en permanence sans être recyclée. Voir cette vidéo très instructive mais qui concerne la truite fario réputée plus difficile que l’arc en ciel : https://www.youtube.com/watch?v=qoTQE3eXzdM
          Entre un système avec une eau en circuit fermé, sans aérateur, sans biofiltre et avec une régulation de la température en yoyo comparée à une eau du bassin aquaponique avec biofiltre fonctionnel et suffisamment aérée pour permettre de maintenir de la truite adulte, je choisi l’eau aquaponique!
          Quoi qu’il en soit, les points clés:
          – une eau qui circule du bas vers le haut avec un débit qui n’agite pas les œufs
          – Les œufs œillés manipulés avec précaution et le moins possible, placés en une seule couche, dans le noir complet.
          – les œufs blancs enlevés tous les jours, en les piquant avec une aiguille pour ne pas perturber les voisins, et sous un faible éclairage
          – idéalement une eau à 10°-11°, claire, oxygénée, permettant l’élevage des truites.
          Conclusion : faire un essai en plaçant l’auge d’incubation entre sortie du biofiltre et entrée dans le bassin à truites. (c’est la configuration que j’utilise, et qui a plutôt bien fonctionné à partir du stade oeillé (30% de perte seulement entre stade oeillé et larves viables, ce qui est énorme pour un professionnel et tout à fait acceptable pour un particulier. Ca devrait être moins de 10% avec des œufs provenant d’une pisciculture professionnelle)

          • Pierre COSTE

            Merci,
            En tenant compte de ce que tu as fait, de ce que tu me dis que font les professionnels, je vais faire un essai, si je peux encore récupérer des oeufs oeillés
            Je pense qu ‘en m ‘inspirant de tout , j ‘ai sans doute intérêt a faire avec une auge très peu profonde afin de me faciliter la tache pour enlever les oeufs ou les larves mortes, et ensuite avoir put être un niveau d’au un peu plus important pour les larves et le début des alevins
            je vais chercher à récupérer le matériel, et te tiendrai informé

  3. Truite26

    Bonjour Jean-Claude,
    Toujours au top tes articles.
    Vivement la suite !

  4. Laurent Q

    Expérience très intéressante, merci de la partager.

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