Reproduction assistée, truites en aquaponie, 2021

Dans les années 1840, Laurent Remy et Antoine Géhin ont développé une technique révolutionnaire de reproduction assistée des salmonidés. Depuis lors, les recherches de l’INRA ont contribué à améliorer les techniques initiales. Ces techniques de reproduction assistée sont-elles adaptables directement dans une installation aquaponique? Une première réalisation en février 2020, sans savoir-faire préalable, a surtout permis d’identifier les erreurs grossières à ne pas commettre. Puis de définir le protocole simplifié et l’équipement « low-tech » à utiliser en février 2021. Voici le compte rendu de cette seconde expérience démarrée le 15/02/2021.

Un protocole adapté pour la reproduction assistée des truites en aquaponie

Le protocole défini par Paul Grondin pour la reproduction artificielle des salmonidés constitue la base de départ. L’objectif consiste à simplifier ce protocole pour diminuer le temps de travail, s’adapter à un équipement limité, s’intégrer dans le circuit d’un système aquaponique, en acceptant en contrepartie une perte plus élevée. GRONDIN, Paul (2016). La reproduction artificielle des salmonidés indigènes, Québec, Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Direction générale de l’expertise sur lafaune et ses habitats, Direction de la faune aquatique, 56 p. [Rapport technique].

Le protocole retenu est le suivant:

  • Travailler sous abri, à l’ombre, dans un environnement propre.
  • Choisir deux ou trois truites femelles AEC prêtes à pondre dans le lot aquaponique de deux ans. Les truites sont sacrifiées et ensuite séchées avec un linge sec et de l’essuie-tout. Puis les œufs sont prélevés par un stripping doux .
  • Choisir deux mâles mâtures dans le lot des truites aquaponiques de deux ans. Les truites sont également sacrifiées, puis séchées dans un linge sec. Puis le sperme est prélevé par stripping et mélangé à sec avec les œufs.
  • On estime le volume d’œufs par lecture directe dans le saladier. Un prélèvement de 5 cc permettra de compter ultérieurement les œufs et donc d’estimer le nombre d’œufs installés dans l’auge d’incubation.
  • Puis on ajoute de l’eau à raison de 50 % du volume des œufs. L’eau peut être avantageusement remplacée par un dilueur d’insémination réalisé avec 10 g de bicarbonate de sodium pour un litre d’eau à la température du bassin. Plusieurs transvasement délicats des œufs entre saladiers permet un brassage efficace sans blesser les œufs.
  • Les œufs reposent 5 minutes puis prennent place en une seule couche sur le fond horizontal de l’auge d’incubation.
  • L’auge est couverte pour garder les œufs dans le noir. Puis ils ne doivent plus être bougés jusqu’au stade œillé.
  • Chaque jour les œufs blancs sont retirés rapidement par aspiration à la poire, en ne touchant pas aux œufs adjacents et en évitant une lumière vive sur les œufs.

Un équipement minimaliste pour la reproduction assistée

  • Une passoire pouvant se fixer sur un saladier en laissant un espace entre le fond du saladier et le fond de la passoire pour recueillir le liquide cœlomique.
  • des torchons secs et de l’essuie-tout.
  • Un saladier gradué en volume pour apprécier directement le volume d’œufs récolté. Un second saladier, pas indispensable mais utile, pour le brassage.
  • Un verre mesureur pour rajouter le volume d’eau adéquat, ou de dilueur, au moment de la fécondation
  • Une auge d’incubation avec filtre en entrée, circulation de l’eau du bas bers le haut, couvercle pour garder les œufs dans le noir, système de nettoyage du fond de l’auge, déversoir protégé par une large grille pour éviter le piégeage des larves par le courant.
  • Une poire pour enlever les œufs blancs et les larves mortes (éventuellement remplacée par une bouteille plastique souple avec une paille transparente montée sur le bouchon).
  • Un distributeur automatique d’aliment pour le démarrage des alevins.

Un temps de travail limité pour la conduite de la reproduction

La reproduction de la truite dans le système aquaponique demande peu de travail. Une demi-heure pour la fécondation et la mise en auge d’incubation. Puis 1 à 5 mn par jour pour enlever les oeufs blancs et les larves mortes, pendant 50 jours. Puis pour surveiller le nourrisseur automatique pendant 100 autres jour. Soit environ 8 heures au total, mais avec une astreinte journalière sur les 150 jours.

Les limites liées aux géniteurs

L’utilisation de géniteurs issus des truites destinées à l’abattage conduit à utiliser des géniteurs le plus souvent âgés de deux ans quand ce n’est pas moins. La reproduction des truites arc en ciel, in situ de l’installation aquaponique, semblait compromise en 2021. Car il n’y avait pas de mâles dans le lot de truites achetées en février 2020 . Or un jeune mâle d’un an, issu de la reproduction conduite en février-mars 2020 a atteint la maturité sexuelle au mois de février 2021. Mais l’utilisation de très jeunes géniteurs pose trois problèmes:

  • La précocité sexuelle est un caractère hautement héritable. Cela signifie que la descendance aura tendance à produire beaucoup de mâles mâtures à un an et beaucoup de femelles mâtures à deux ans. Ceci au détriment de la croissance en chair. Utiliser des géniteurs plus âgés suppose des bassins dédiés, ce qui est inadapté dans de petites installations domestiques.
  • Le taux d’œufs œillés issus des œufs fécondés est d’autant plus faible que les géniteurs sont jeunes. Ce qui conduit à un travail de nettoyage des œufs blancs plus conséquent.
  • Les larves et alevins issus d’œufs fécondés par de jeunes géniteurs sont beaucoup plus fragiles, sensibles à la qualité de l’eau et exposés aux différents agents pathogènes.

Les limites liées à l’eau du système

La réussite de l’incubation dans le système TA_500, puis du démarrage des alevins, nécessite une eau sans ammoniaque ni nitrites, avec un pH de 7.5, et une température maintenue entre 8 et 10° pendant la phase d’incubation et de résorption vésiculaire.

  • Pendant la phase de reproduction, le système héberge une trentaine de truites de 100 à 150 grammes. Ces truites sont rationnées à 50% des préconisations. Ceci permet de maintenir actives les populations de bactéries sans créer de pic d’ammoniac ou de nitrites. En revanche, ces truites peuvent servir de réservoir pour des agents infectieux qui peuvent décimer les jeunes alevins. Une lampe UV insérée dans le circuit résoudrait une partie du problème.
  • Un filtre à gravier en entrée d’auge d’incubation capte les éventuelles impuretés sortant du bac de culture.
  • Le pH et la teneur en calcium sont des éléments à surveiller. Le test 2021 s’est déroulé à pH 6.4, ce qui est 1 point en dessous de l’optimum (7.5).
  • A compter de la date de fécondation, le 15/02/2021,la zone de modulation de la température est activée automatiquement par l’électrovanne pilotée par arduino. En dessous de 8.5°, l’eau est réchauffée de jour jusqu’à ce seuil . Au dessus de 9° l’eau est refroidie de nuit jusqu’à ce second seuil. La mise au point de l’automate a généré quelques dysfonctionnements. D’où des données incomplètes et des températures refroidies bien en dessous de la consigne. Majoritairement, la période d’incubation dans le système aquaponique TA_500 a pu se dérouler autour de 9°C +/- 1°. Ce qui n’aurait pas été possible dans le système TA_2400, ayant connu des pointes à 13° C.

Première phase de la reproduction assistée : de la fécondation à la résorption vésiculaire des larves

Cette première phase est assez facile à maîtriser sous réserve de respecter le protocole de fécondation à la lettre et de maîtriser la température et la qualité de l’eau. Elle dure environ 500 ° jour, soit 50 jours à 10°

Du stripping à la fécondation

La reproduction des truites arc en ciel, in situ de l’installation aquaponique, commence avec des géniteurs repérés dans le lot de truites. Deux femelles de deux ans et un mâle d’un an ont été utilisés en 2021. ces géniteurs sont trop jeunes pour espérer de bons résultats. L’eau est à 8°C. 3600 œufs installés dans l’auge, dans le noir.

Fécondation le 15/02/2021 : J1 (3600 œufs)
Fécondation le 15/02/2021 : J1 (3600 œufs)

De la fécondation au stade oeillé

Nettoyage des œufs blancs au fur et à mesure de leur apparition. A défaut de poire, une paille montée sur une bouteille plastique souple sert de poire pour aspirer les œufs blancs. Nettoyage très rapide (30 œufs blancs à la minute). Les pertes sont maximales entre j5 et j10. Il reste 1060 œufs à j26 . Stade œillé atteint avec 230 ° jour depuis la fécondation.

Stade œillé : J26 ; 230 °jour; 1060 œufs
Stade œillé : J26 ; 230 °jour; 1060 œufs

Du stade œillé à la naissance des larves

Après nettoyage des œufs blancs, il reste 910 œufs œillés prêts pour l’éclosion. L’éclosion des œufs commence à 310° jour, à j35 après fécondation. Pour se terminer le 26/03/2021, j39 à 350 ° jour. Après élimination des larves mal formées, il reste 870 larves viables soit 95% des œufs œillés. L’auge d’incubation est modifiée en rajoutant une protection autour de l’évacuation pour éviter que les larves soient aspirées par le courant et écrasées sur la grille.

De la naissance des larves à la fin de résorption vésiculaire

Les 870 larves sont maintenues dans le noir, avec une température de 10 à 12 °C. Un nettoyage journalier permet d’enlever les larves mortes pendant la phase de résorption vésiculaire. Les premiers alevins commencent à nager le 06/04 , soit 14 jours après les premières naissances (150° jour).

Seconde phase de la reproduction assistée : de l’ouverture de l’œsophage au stade 4 g

Cette phase est longue et très délicate. Elle dure environ 100 jours et de nombreuses causes de mortalité des alevins peuvent survenir. Ce n’est qu’après le stade 4 à 5 g que le nombre de truitelles peut être considéré comme stable.

Les premiers nourrissages des alevins

La majorité des alevins atteignent le stade de l’ouverture de l’œsophage le 10/04. Le nourrissage peut commencer avec des doses très faibles au démarrage. Ces repas sont distribués à l’aide d’un nourrisseur automatique.La quantité distribuée par jour se calcule à partir du poids des alevins (0.10 g par unité au démarrage), du taux de rationnement (5% du poids vif au tout début), et de la densité de l’aliment (600 g par litre dans le cas présent). En effet il est plus facile de mesurer un micro volume qu’un micro poids, en dehors d’un laboratoire. Voir à ce sujet  R. Billard, La salmoniculture en eau douce. Aquaculture. Volume 2, Technique et Documentation, Lavoisier, 1986, 2-85206-302-6. hal-01600774. pages 553-554.

100% de mortalité sur 20 jours.

La mortalité à commencé 10 jours après l’éclosion, soit 3 jours avant le début du nourrissage. Les jeunes alevins présentent pour certains des signes de déformation de la colonne vertébrale, pour d’autres une nage désordonnée. L’analyse des causes nous oriente sur des mesures préventives utiles pour 2022.

Pertes larves et alevins

Bilan global de l’essai de la reproduction assistée en bassin aquaponique, en 2021

La reproduction assistée de 2021 en bassin aquaponique est un succès pour la première partie jusqu’à la naissance des larves. Puis un échec lors de la phase de démarrage de l’alimentation des alevins. Les causes semblent être l’utilisation de très jeunes géniteurs, une baisse de pH (6.4) non repérée en cours d’essai, l’utilisation d’un aliment inadapté au démarrage, l’absence de prophylaxie préventive sur les larves et alevins.

4 Comments

  1. Arnaud

    Bonjour !

    Merci pour ce super retour et globalement un grand merci pour le partage de toutes vos expérimentations !
    Je lis toujours avec grand plaisir les nouveaux articles.

    Arnaud

    • jcgoudeau

      Bonjour,
      Eh bien, merci également pour ce retour! Cela fait plaisir de lire que des personnes sont intéressées par les articles publiés. Pour ce qui me concerne, cela me permet de rencontrer de nouvelles personnes et de prendre du recul sur les observations grâce à la synthèse mise en oeuvre lors de l’écriture.

  2. Rephael boccara

    C est un grand pas que vous avez fais .toutes mes felicitation pour la reussite et le partage.j espere que d autres s aideront de votre protocol .cependant il manque des informations importantes du genre comment reconnaitre la maturite des geniteurs…

    • jcgoudeau

      Bonjour, merci pour le retour. La maturité sexuelle du mâle de truite arc en ciel est indiquée par un changement de couleur. Il prend une jolie couleur cuivrée, plus marquée sur les ouïes. La maturité sexuelle des femelles s’apprécie de visu (abdomen gonflé) et au toucher (abdomen mou). A ce stade les œufs sortent en tenant la truite verticalement, tête vers le haut ou avec une légère pression sur l’abdomen. Le calendrier est également un bon complément. Pour les lots de truites arc en ciel que j’ai pu observer, tout se déroule pendant les mois de janvier-février.

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