Le « cyclage » d’une installation aquaponique correspond à l’installation des populations bactériennes nitrifiantes nécessaires au bon fonctionnement de l’installation. Ce qui peut être réalisé de deux façons majeures. Soit en présence des poissons, tel que le pratique Timothée Saurel (T’Air Eau), ou encore Guillaume Beucher ( Aquaponia). Soit sans les poissons, avec de l’ammoniaque du commerce.
Article enrichi des expériences de cyclage rapportées par Guillaume Beucher, Timothée Saurel, Chris Pagns, Louvert Louvert et Jean-Paul Andrade
Cyclage avec poissons
Le cyclage avec les poissons consiste à n’introduire que peu de poissons par m3, introduire un stock de départ de bactéries et faire grandir ces populations avec un très faible apport de nourriture les 40 premiers jours. L’excrétion de N(NH3-NH4) est faible, voisine de 0.05 g de N(NH3-NH4) au départ. Cette très faible dose d’azote ammoniacal sera contrôlée par les bactéries déjà installées. C’est la méthode qu’utilise Timothée Saurel lors de l’installation des kits aquaponiques qu’il commercialise. Avec 100% de réussite lorsque les recommandations sont respectées à la lettre. Elle a l’immense avantage de rendre l’aquaponie simple et facile à maîtriser, sans s’embarrasser de mesures et tests et sans forcément entrer dans la chimie de l’eau.
Pour une cuve de 500 litres et un biofiltre profond de 500 litres:
# Installation de 2 kg de salmonidés. Salage de l’eau à 0,5 g de sel par litre d’eau.
# Installation de populations bactériennes diversifiées:
– Installation des billes d’argile, dont une partie provient d’un système déjà cyclé.
– Ajout de 75 cc de jus de lombricompost, prélevé le jour même et conservé au frais.
– Ajout de 250 g de vers de compost
# Croissance des populations de bactéries:
– Jeûne complet la première semaine. L’excrétion de N(NH3-NH4) est faible, voisine de 0.05 g de N(NH3-NH4). Elle permet de commencer à stimuler les populations de bactéries qui nous intéressent.
– 1 cuillère à café d’aliment par jour en semaine 2. (environ 5g pour 0.17 g de N(NH4-NH3))
– 2 cuillères à café d’aliment par jour en semaine 3. (environ 10g pour 0.34 g de N(NH4-NH3))
– 3 cuillères à café d’aliment par jour en semaine 4. (environ 15g pour 0.5 g de N(NH4-NH3))
– 4 cuillères à café d’aliment par jour en semaine 5. (environ 20g pour 0.7 g de N(NH4-NH3))
– Puis poursuivre sur la base de 1% du poids vif des poissons au fur et à mesure de leur croissance.
Cyclage avec ammoniaque 13%
Le cyclage avec apport régulier d’ammoniaque est sensé se dérouler selon le schéma théorique suivant .

Or la réalité est souvent différente! Décryptage d’un test réalisé début 2023 avec ajout d’ammoniaque.
Contexte :
- Installation avec bassin aquaponique de 600 litres.
- Circulation de l’eau par airlift . Débit 1000 litres par heure. Niveau constant.
- Biofiltre de 200 litres, constitué de graviers non calcaires de 6/10 mm.
- Oxygène: 3 mg par litre du démarrage au 15 mai. Puis 7 mg/l à compter du 15 mai.
- Eau provenant d’une nappe calcaire. pH de 7.8 KH voisin de 8.
- Nitrates de l’eau de la nappe : 20 mg de NO3/l
- Cyclage au printemps, du 15 mars au 10 juillet (eau de 10° à 17° C)
Suivi des nitrites
15 mars 2023 : construction achevée et démarrage de la mise en place bactérienne. Sur les 200 litres de graviers, 5% proviennent d’une installation aquaponique déjà cyclée. Nitrites inférieurs à 0.1 mg/l. Eau à 10°. Apport journalier de 40 cc d’ammoniaque du commerce dosée à 13% d’azote ammoniacal (50 cc par m3 d’eau, ce qui correspond à 150 g d’aliment à 42% de protéines). Cet apport s’est avéré trop élevé. 6 cc par m3 et par jour suffisent.
– 50 g ammoniaque 13% donne 50 x 0.13/18 x 14 g = 5 g N(NH3-NH4)
– 25 Kg de truites/m3 nourries à 1% dans un bassin de 600 litres :
25 x 0.6 x 0.01 = 150 g de nourriture /J
150 x 42% protéines x 0.16 = 10 g d’Azote
avec 50% rejetés sous forme de N ammoniacal soit 5 g N(NH3-NH4)
01 avril 2023. Le système ne réagit pas jusqu’au 01/04. Puis les nitrites commencent à grimper, signe de l’installation progressive des bactéries dont le nom commence par le préfixe « nitroso » (Nitrosomonas, Nitrosococcus, Nitrosospira, Nitrosolobus, Nitrosovibrio ,… ), probablement accélérée par l’ajout de graviers cyclés.
30 avril 2023. Le taux de nitrite monte jusqu’à 80 mg par litre au 30 avril avec une eau à 12°. L’eau devient laiteuse et le biofiltre recouvre toutes les parois. Apport de 20 g de sucre par jour à partir du 15 avril par précaution. Apport probablement inutile avec un KH à 8 . En revanche l’eau est froide et ne favorise pas les bactéries dont le nom commence par le préfixe « nitro » (Nitrobacter, Nitrospina, Nitrococcus, Nitrospira,…)
01 mai 2023. Arrêt d’apport d’ammoniaque au 01/05. La concentration en nitrites va chuter progressivement à 0.1 mg/l en une douzaine de jours, jusqu’au 12 mai. Car les bactéries nitritantes n’ont plus rien à se mettre sous la dent et les bactéries nitratantes boulotent le stock de nitrites. A ce stade compte tenu de la présence de 50mg/l de nitrates, la tentation est grande d’introduire des poissons. Ce qui serait une erreur.
14 mai 2023. Reprise des apports d’ammoniaque 13% sur une base de 6 g /m3 (5 g pour le système de 800 litres). Avec deux interruptions de 3 jours, puis 7 jours. Remontée des nitrites jusqu’à 10 mg/l jusqu’au 30 mai.
30 mai 2023. A partir du 30 mai la température de l’eau remonte entre 17 et 17.5°, favorisant l’installation des bactéries « Nitro ». Egalement dopées par la présence de beaucoup de nitrites.
Au 29 juin 2023 , les nitrites se stabilisent en dessous de 0.3 mg/l. Et ce, sous un régime d’apport régulier de 5 g d’ammoniaque 13% par jour. Il est donc possible d’introduire 2 kg de truites dans le bassin de 600 litres et de commencer à nourrir pour maintenir l’apport d’azote ammoniacal.
– 5 g ammoniaque 13% donne 5 x 0.13/18 x 14 = 0.5 g N(NH3-NH4)
– 3 Kg de truites/m3 nourries à 0.8% dans un bassin de 600 litres :
3 x 0.6 x 0.008= 15 g de nourriture /J
15 x 42% protéines x 0.16= 1 g d’Azote
avec 50% rejetés sous forme de N ammoniacal soit 0.5 g N(NH3-NH4)

Le passage de 3 kg/m3 à 20 kg par m3 devra être très progressif pour laisser le temps aux populations bactériennes de s’ajuster à la nouvelle offre alimentaire. L’ajout de poisson sera compensé par une diminution ponctuelle de l’alimentation de façon à lisser l’augmentation de l’azote ammoniacal à traiter par les bactéries.
A retenir
Quelle que soit la méthode employée, le cyclage consiste à installer des populations de bactéries nitrifiantes en équilibre avec un volume d’azote ammoniacal à traiter, et donc en équilibre avec le volume d’aliment distribué. Toute modification brutale de cet équilibre (aliment plus riche en protéines, plus de poissons, plus d’aliment, nettoyage des filtres mal réalisé, traitement au percarbonate de sodium mal maîtrisé,…) peut conduire à un pic de nitrites et une mortalité de poissons.
Bonjour Jean-claude, encore merci pour ces articles. Je suis entrain de lancer le cycle avec 5kg de Truites dans un bac de 510L. Mon système complet a environ 3m3 d’eau. Avec biofiltre et filtre mécanique à filet (avec prochainement des vers de composte dès qu’il y aura des excréments pour les nourrires).
Dans l’article est noté : # Installation de 2 kg de salmonidés. Salage de l’eau à 0,5 g de sel par litre d’eau.
Pour les quantités, ayant le double de poissons et un volume d’eau et le triple en volume d’eau, faut-il multiplier les quantités de nourriture par 2 ou par 3 ?
N’ayant pas de jus de lombricompost, par quoi je pourrai le remplacer ?
Il est noté que « 1 cuillère à café d’aliment par jour en semaine 2. (environ 5g pour 0.17 g de N(NH4-NH3)) » comment est calculé le rapport 5g = 0,17g de NH4 ?
Merci d’avance pour le temps que vous me consacrerez à me répondre.
Thierry
Bonjour Thierry,
– Ne pas modifier la quantité de nourriture. Ce que l’on nourrit au démarrage, ce sont les bactéries. Or leur nombre est indépendant de la quantité de poisson introduite. Il faudra continuer à augmenter la quantité distribuée au delà de la 4ème semaine pour arriver à l’équilibre souhaité (par exemple 0.8% de la biomasse totale soit 40 g par jour), puis augmenter encore au fur et à mesure de la croissance des truites. La masse bactérienne suit l’augmentation progressive de la fourniture de NH4.
– si pas de jus de lombricompost, introduire dès maintenant une grosse poignée de vers de compost dans le filtre filet. Ils apporteront un peu de bactéries. Mais ce point n’est pas capital dans le processus de cyclage.
– pour passer de la quantité d’aliment distribuée à la quantité de N forme NH4 (ou N-NH4), il faut multiplier Q-aliment par %-protéines et par 0.092. 4.5g d’aliment x 0.42 x 0.092 = 0.17 g N-NH4 (si 5g, 0.19)
– en croisière, 10 kg dans 500l nourris à 0.8% =80g d’aliment par jour. soit 3 g de N-NH4. On considère qu’il faut au pire 1 m2 de surface d’accueil des bactéries pour 0.2 g de N-NH4. Donc il faut 15 m2 de surface . Les billes d’argile fournissent 150 à 200 m2 par m3. Il en faut au minimum 100 litres et par précaution, le double. Ces ordres de grandeur donnent une idée de la croissance de la masse bactérienne (passer de 0.17 à 3 g de N-NH4 dégradé) et de la surface nécessaire pour accueillir tout ce petit monde.
Merci jean-claude pour cette réponse complète.
Concernant l’apport de sel, faut-il pendre en compte le volume d’eau total de l’installation (bacs à poisson + bacs de culture+FB+FM et les tuyaux) ou simplement prendre le volume des bacs à poisson et mettre le sel dedans ? D’ailleurs, faut-il mettre le sel directement dans le bac à poisson, ou s’assurer que le sel sera bien réparti dans toute l’installation (par exemple en le mettant au niveau de la pompe de circulation)
Merci pour votre aide
Thierry
Pour le salage il faut prendre en compte la totalité de l’eau de l’installation pour calculer la quantité à apporter. L’apport peut se faire n’importe où dans l’installation. Moi je jette le sel dans le puisard où se trouve la pompe en apport préventif. Où directement dans le bassin à poisson quand je recherche un effet curatif.